Vendredi 8 mars 2024
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« Les personnes sous emprise relatent un état de soumission et de dépendance à un pouvoir abusif qui les a utilisées comme des objets » selon Pascale Jamoulle ©Getty – English Heritage/Heritage Images
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Provenant du podcast: La Question du jour
CONTACTER L’ÉMISSION
Instrumentalisation de vulnérabilités, réduction au silence, isolement, manipulation : les nœuds du phénomène d’emprise sont nombreux et souvent marqués par le facteur du genre. Identifier et nommer les faits participent à l’émancipation : un travail qu’a mené l’anthropologue Pascale Jamoulle.
Avec
- Pascale Jamoulle Anthropologue, professeure à l’Université catholique de Louvain.
Être réduit en objet
La violence et souvent la durée de l’emprise interrogent sur l’état dans lequel la victime est plongée et sur les dispositions qui peuvent exposer à cette menace. Si aucune emprise ne ressemble exactement à l’autre, Pascale Jamoulle, professeure à l’Université catholique de Louvain, nous aide à comprendre ses mécanismes habituels. « Les personnes qui se sont déjà retrouvées en situation de désubjectivation au cours de leur vie sont particulièrement vulnérables parce qu’elles n’ont pas pu développer les facultés rebelles au processus d’emprise. Sous l’emprise, l’individu est remis en position d’objet, L’infériorisation se répète. »
« Ce processus est valable dans tous les systèmes de domination – de race, de genre ou de classe – qui privent la personne d’une estime d’elle-même suffisante pour se défendre de la position qu’on peut lui imposer. » Du fait des normes de genre notamment, les femmes sont particulièrement touchées par l’emprise explique l’anthropologue. « Les socialisations patriarcales auxquelles les femmes sont exposées vont mettre en avant leur docilité, leur soumission à une autorité masculine et surtout un idéal de dévotion complète à son homme. Quand la femme se donne tout entière, l’homme peut alors la prendre tout entière. »
La parole aide alors à se relever. « On ressort évidemment affaibli d’une emprise. Néanmoins, dès que l’on parvient à élucider les évènements, à y mettre des mots et en faire la narration, la reconstruction commence. »
« L’emprise, c’est un système totalitaire »
La grande particularité de l’emprise reste l’état de dépendance consentie des victimes. Une soumission qui dépasse la maltraitance, même la plus violente. Source de grande incompréhension pour leur entourage et la société en général, Pascale Jamoulle nous explique ce processus. « L’emprise est un système totalitaire. Qu’elle advienne dans les familles, la conjugalité, le travail, le rapport aux soins ou l’économie souterraine, elle se base sur les mêmes ressorts de domination. Elle instaure un dispositif de contrôle de l’action et de la pensée, coupant tout lien avec l’extérieur ce qui empêche toutes comparaison. Les normes disparaissent progressivement et sont remplacées par un système d’épuisement et de terreur permanents. La victime, désubjectivée, finie par y adhérer. Les gens me disent « Je n’existais plus, j’étais comme un zombie ». Ils sont complètement envahis par la vision du monde de l’abuseur et ils en deviennent parfois les instruments. »
Pour s’en sortir, un affect, une émotion, un désir, une étincelle de vitalité, ou parfois une bouffée d’imaginaire ont un rôle déclencheur. L’anthropologue décrypte plus longuement le phénomène et ses issues dans son ouvrage Je n’existais plus – Les mondes de l’emprise et de la déprise publié chez La Découverte en 2021.
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