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Éducation positive, sommeil, massage, alimentation : dans la jungle des « coachs parentaux »

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Des parents et professionnels de la petite enfance dénoncent l’essor de ces spécialistes autoproclamés de la parentalité qui interviennent sur de nombreux sujets et pratiquent des tarifs élevés.

Par Bérangère Lepetit 

Le 14 mars 2024 à 06h59

«Formées à l’éducation positive, par exemple, ces mères pratiquent des tarifs hallucinants sans avoir aucun diplôme», alerte Cécilia Creuzet, cofondatrice de May, une application dédiée à la santé des jeunes enfants. (Illustration) Getty Images/StocksPlanet

Elle s’en veut encore de sa « naïveté », lâche-t-elle, amère. Emma, 27 ans, n’en pouvait plus de voir sa fille de 18 mois se réveiller chaque nuit. Elle en parle d’abord à son pédiatre. Mais, épuisée et inquiète de la perte de poids de son bébé, cette jeune mère de Toulouse (Haute-Garonne) se met aussi à naviguer sur Internet. « J’ai pris contact avec trois ou quatre coachs très suivies sur les réseaux sociaux. Je cherchais une solution miracle », avoue-t-elle.

Finalement, elle débourse près de 400 euros pour être accompagnée par une coach célèbre. La prestation se solde par trois coups de fil décevants. « C’était du vent. Je sentais qu’elle cherchait la faille en me questionnant pour s’y engouffrer », déplore Emma, qui a appris ensuite, en allant consulter un médecin ORL (oto-rhino-laryngologiste) que sa fille, atteinte d’apnée du sommeil, devait juste se faire soigner. « Sur l’ensemble des coachs consultés, aucun ne m’a conseillé de prendre un avis médical ni même évoqué l’éventualité de cette pathologie », s’agace-t-elle.

Tandis que sort ce jeudi le nouveau livre d’Isabelle Filliozat « Éduquer : Tout ce qu’il faut savoir » (Éd. Robert Laffont), psychothérapeute ayant popularisé la notion d’éducation positive en France et créatrice en 2006 d’une école de formation pour les coachs parentaux, l’une des premières du genre en France, à quoi ressemble aujourd’hui le paysage du soutien à la parentalité ? Est-il encadré ?

« Il y a tout et n’importe quoi ! On ne compte plus sur le web le nombre de personnes autoproclamées coachs parentales qui ne servent qu’à vous culpabiliser encore plus », tempête Julie Marty Pichon, éducatrice de jeunes enfants (EJE) et autrice du livre « J’ai mal à ma crèche » (Éd. Eyrolles), sorti en janvier, où elle pousse un coup de gueule contre la marchandisation du secteur de la petite enfance.

Un profil fréquent : des femmes en reconversion, qui ont eu un enfant

Difficile de dénombrer aujourd’hui ces femmes (le secteur est quasi exclusivement féminin). En forte croissance en France, le marché du coaching — tous secteurs confondus — représentait en 2021 entre 3 000 et 4 000 personnes en France selon le Simacs (Syndicat interprofessionnel des métiers de l’accompagnement, du coaching et de la supervision) mais toutes n’en vivraient pas à plein temps. « En ce moment, cela fleurit et il y a de nombreuses dérives », souligne Karine Goetgheluck, directrice du Cefap (Centre de formation en allaitement et périnatalité).

« En général, ce sont des femmes en reconversion qui ont eu un enfant, veulent changer de vie et ont suivi une formation de quelques heures ou semaines à distance. Formées à l’éducation positive, par exemple, elles pratiquent des tarifs hallucinants sans avoir aucun diplôme (entre 60 euros la séance en visio et 800 ou 900 euros l’accompagnement mensuel) », alerte Cécilia Creuzet, cofondatrice de May, une application dédiée à la santé des jeunes enfants.

« Leurs intentions sont louables mais leurs pratiques sont mensongères. Elles se contentent bien souvent de ressasser des injonctions, sans respecter le projet parental », dénonce encore Stéphanie Vauzelle, infirmière puéricultrice libérale dans la région de Nantes (Loire-Atlantique).

« Je n’avais pas besoin de payer presque 300 euros pour entendre ça »

C’est ce qui est arrivé à Diana, 34 ans, une mère de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) qui allaitait son bébé de 8 mois au sommeil agité. Diana contacte une coach qui revendique un diplôme « aux États-Unis ». Elle lui conseille de le faire dîner à 17h30 pour le coucher à 18 heures avant de le laisser pleurer dans son lit, seul, à intervalles réguliers.

« C’était la méthode à l’ancienne qu’elle me conseillait, celles de nos mères, j’y étais opposée et je n’avais pas besoin de payer presque 300 euros pour entendre ça, s’exaspère Diana, qui communique chaque matin par SMS avec la coach (au lieu de l’appel qui était inscrit dans le contrat). Le deuxième jour, je lui ai demandé de me rembourser », poursuit Diana.

Même si le secteur compte aussi des professionnels sérieux, « il ne suffit pas d’être mère pour être coach. On entend un nombre incalculable d’âneries. Quand on sait à quel point certaines mères sont fragiles durant ces périodes de la vie, cela peut même être dangereux », avise Élodie Emo, infirmière puéricultrice, fondatrice du Cercle des parents.

Après la vogue des coachs parentaux vous promettant de faire régner l’harmonie grâce à l’éducation positive, la tendance des « experts massage » vous inculquant en visio les bons gestes à avoir sur votre enfant, puis celle des « coachs sommeil » ou « diversification alimentaire », une autre profession émerge aussi, venue des États-Unis : voilà les baby-planners qui conseillent les jeunes parents sur les bons achats à faire ou encore le mode de garde. « Pour être le plus serein possible en rentrant de la maternité », défend Alexandra Martin. Cette ancienne attachée de presse, la quarantaine, est devenue baby-planneuse depuis peu « pour répondre à des questions que moi-même, je me suis posées. »

« Finalement, le parent est traité comme un client qui est montré du doigt s’il fait mal. Alors, il devient défaillant », raille le sociologue belge, spécialiste de la pédagogie familiale Michel Vandenbroeck, auteur du livre « Être parent dans un monde néolibéral » (Éd. Eres). « Ce que tout cela montre aussi, c’est le réel besoin des parents d’avoir un soutien complémentaire à celui prodigué par le corps médical. Il manque un maillon », avance Karine Goetgheluck au Cefap.

Besoin urgent de réglementer le secteur

Elle insiste, comme d’autres, sur l’urgente nécessité de réglementer le secteur : « Cela permettrait de sortir de ce paysage où on peut faire tout et n’importe quoi. » «Quand je me suis lancée en 2019, nous étions trois. Aujourd’hui, il y a une explosion », remarque Caroline Ferriol, coach sommeil, alias la Fée dodo, qui applique la « charte de soutien à la parentalité » et emploie désormais 25 personnes dont des médecins. Elle aussi appelle à une régulation du secteur.

En 2021, le secrétaire d’État chargé de l’Enfance Adrien Taquet avait confié une mission sur le sujet à la psychiatre Anne Raynaud et au psychologue de la CAF Charles Ingles. Las. Il n’a pas été suivi d’effet. « Il y a des besoins et de la place pour tout le monde, martèle la psychiatre Anne Raynaud. Mais cela reste à faire et c’est un vrai challenge. »

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